Sud-Ouest d'aujourd'hui
ENTRETIEN. Le politologue et historien Alfred Grosser livre son sentiment sur l'idée de nation
Le politologue et historien Alfred Grosser, l'un des auteurs de « Qu'est-ce qu'être français ? », qui paraît aux éditions Hermann (Institut Montaigne), estime que le débat sur l'identité nationale lancé par Éric Besson est une « façon de détourner la réalité ».
Cela a-t-il un sens de lancer un débat sur l'identité nationale aujourd'hui ?
Alfred Grosser. Ça a beaucoup de sens dans la mesure où ça détourne des vrais problèmes et que ça peut faire plaisir à une clientèle du Front national tentée de quitter l'UMP. Sinon, c'est parfaitement démagogique. Et je pense que c'est un faux débat. On donne des idées sur la nation, comme si la nation française était quelque chose de parfaitement pur. Mais regardez l'histoire du colonialisme, une impureté totale, la façon dont étaient traités les harkis, la façon dont étaient traités les tirailleurs algériens... Ils faisaient en principe partie de la nation, mais en fait pas du tout.
Tout le débat est une façon de détourner la réalité. Lorsque M. Besson a fait partir des gens de Calais, ils ont été dispersés à travers la France, et la majorité d'entre eux ont été libérés par le tribunal administratif parce qu'il était illégal de les transplanter comme cela et de les enfermer. La nation française c'est aussi le respect parfait de la légalité. Si nous voulons respecter la République, l'essence même de la nation, commençons par respecter la légalité républicaine.
Qu'est-ce qui définit l'identité nationale française ? N'est-elle pas toujours en évolution ?
Oui, mais il y a des caractéristiques permanentes. Les Allemands ont tendance à se plaindre du passé, les Français à se surestimer. C'est cela qui nous rend insupportables à la plupart de nos partenaires européens. Comme si, au nom d'une spécificité de la nation française, nous avions des droits, et pas les autres. C'est ce qu'on fera qui est important, pas ce qu'on a été sous Louis XIV !
La défense de l'identité nationale fait-elle débat dans d'autres pays, notamment en Allemagne, et le débat ne devrait-il pas plutôt se poser, en 2009, en termes d'identité européenne ?
Je suis pour un débat sur l'identité européenne, mais avant d'arriver comme Européens face aux autres continents, il faudrait que nous devenions nous-mêmes exemplaires. Si on reparle tellement de nation, c'est parce qu'on ne veut pas ouvrir véritablement de débat sur l'accueil des étrangers.
Parler des nations, c'est aussi dire, au fond : les étrangers n'en font pas partie, du moins à la première génération. En Allemagne, un député d'origine turque reste un Turc avec un passeport allemand. En France, on ne dira pas de Nicolas Sarkozy qu'il est un Hongrois avec un passeport français, et les jeunes des banlieues d'origine nord-africaine sont, dans leur immense majorité, français aussi.
Ça, c'est l'autre volet de la nation française actuelle. Et ils sont d'autant plus choqués par la discrimination qu'ils sont français. C'est ce que notre ministre de l'identité nationale ne met absolument pas sur le tapis. Toutes les enquêtes sur la discrimination montrent qu'il y a un racisme fort, pas exclusivement réservé aux jeunes des banlieues. Et au nom de la nation française telle qu'elle se définit - par le droit du sol et pas par le droit du sang -, il devrait y avoir une extension de la nation égalitaire. C'est de cela que devrait parler le ministre : d'un contrat national.
1 commentaire:
"Merci pour ce texte bien choisi à propos du débat sur l'identité nationale et avec lequel je suis en complet accord. J'ai souvent senti cette arrogance des Français en Amérique latine. Là-bas on me prend pour une Italienne, à cause de ma pointe d'accent italien, héritée de mon premier voyage en bateau d'immigrants italiens, vers La Guaira et Caracas en 1961, aussi parce que je n'ai pas le physique de Brigitte Bardot, certainement aussi parce que je suis sans prétention. Jeune j'ai beaucoup aimé danser avec les garçons italiens, espagnols ou gitans, ils étaient les meilleurs pour la valse et le paso-doble! Mais j'ai appris récemment que nos camarades d'école étrangers qui se classaient premiers au certificat d'études n'avaient pas droit aux prix donnés par la mairie ou le département! Quels mérites pourtant: les jeunes espagnols savaient lire et écrire dans leur langue et suivaient pour le français 2 ou 3 classes du CP (assuré à Duras par ma mère depuis octobre 1944!) au CM2 et obtenaient le certif dans les meilleures places comme Jesus Urias ou Harmonie et Libertad Deza, filles d'anarchistes espagnols! Tous étaient aussi très pauvres et donc doublement méritants! Peut être à cause de tout cela, j'ai moi même épousé un Péruvien connu au Cuzco et qui a pris la nationalité française quand Pasqua a commencé à la restreindre. Nous écrivons tous les deux en français et en espagnol en nous corrigeant mutuellement pour quelques fautes! Notre fils unique est parti, lui, vivre en Argentine concluant la boucle de la migration! Je me sens très internationale, ouverte à toutes les cultures, et souvent aussi plus occitane que française à cause des discriminations que notre culture plus ancienne et si riche n'a cessé de subir."
Jeanine Brisseau
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