Jean-Christophe Prignon, nouvel habitant de
Soumensac, nous a fait parvenir cet article passionnant sur la protection et la
valorisation des paysages et de la faune de Soumensac. C’est un sujet qu’il
connaît bien, biologiste et forestier de formation il est actuellement responsable
du département gestion de la nature de la région de Bruxelles. Nous le
remercions chaleureusement de sa contribution.
Lorsque nous sommes arrivés pour la première
fois en 2009 de Belgique dans cette
région magnifique chez nos amis vignerons du domaine de La Belle, j’ai été
subjugué par la beauté de ces paysages façonnés par l’homme depuis des
millénaires : Des versants où les labours
font apparaître une palette étonnante de couleurs allant du rouge brique
au gris blanc du calcaire, en passant par l’ocre, le brun… ; les
alignements de vignes qui ordonnent le
paysage de leurs sarments colorés par leurs teintes automnales, ces bois de
chênes, pins et châtaigniers et leurs précieuses ressources, ces talus herbeux
ou embroussaillés, ces haies bocagères, ces arbres isolés séculaires abritant lièvres
perdrix, bécasses et autres petit gibier, ou encore ces vallées herbagères plus
humides où courent des ruisselets. Un milieu façonné et enrichi par l’homme qui
a diversifié la palette de paysages en mettant progressivement en place une
mosaïque équilibrée.
C’est ce qui m’a séduit ici, cette harmonie
entre agriculture, nature et patrimoine. Séduit au point d’acheter un bien dans
le village de Soumensac, nous voilà devenus « pièces rapportées »
dans ce charmant endroit… Une région que j’ai voulu d’emblée parcourir à pied,
et c’est ce que j’ai tout de suite entrepris ; c’est ainsi que j’ai pu me
rendre compte de toute cette richesse, la VRAIE richesse…
Le bout de haie ici, le damier d’arbres là
permettent aux oiseaux de nicher. Les lisières de bois, les ruisseaux, les
prairies humides permettent aux bécasses de se réfugier. Les haies, les talus,
les bois ont tous une incidence sur la production agricole. Pour avoir du
gibier à plume et à poil, des oiseaux insectivores qui régulent les insectes
nuisibles, des oiseaux de proie qui pourchassent les rongeurs, il faut en suffisance
des haies vives, des arbres de haute-tige, des talus fauchés.
Cette richesse qui nous a été léguée est
fragile. Attention aux fauchages de talus trop tôt où l’on broie en même temps
les nichées de lièvres, de perdrix, de lézards et autres bestioles auxiliaires
agricoles précieux. Ce n‘est pas la chasse qui est responsable comme
l’affirment trop facilement les « amis de la nature », non, c’est
l’intensification de l’agriculture imposée par les changements incessants et
les concentrations économiques.
Que dire des mares et autres marigots. Pour
réguler les cours d’eau, il faut des zones humides qui agissent en retenant une
partie de l’eau excédentaire et la relâchent durant les périodes sèches. Pour
éviter le dessèchement progressif du paysage et une perte de la productivité, il faut des arbres et des
haies, des fossés pour que les eaux soient retenues et s’infiltrent plutôt que
de provoquer des inondations problématiques en aval en emportant la bonne
terre..
Pour conserver ce terroir agricole fertile, pour
structurer ce paysage patiemment aménagé, il faut garder nos haies, nos arbres,
nos ruisselets courant librement dans les vallons, et les entretenir de manière
raisonnée et durable.
Qui suis-je pour parler ainsi, moi qui ne suis
pas agriculteur et en plus étranger à la Région ? Que dire quand on voit
le monde agricole ployer sous les contraintes des technocrates, asphyxié par
les dettes, presque condamné à produire toujours plus, toujours moins cher, et
tant pis pour la qualité car il faut vivre, tenir ? Quand les choix
politiques sont dictés en partie par des lobbies agro-industriels où les
actionnaires doivent d’abord toucher leurs royalties ?
Biologiste et forestier de formation, j’ai
hésité à faire l’agronomie, préférant finalement la forêt et les espaces naturels. Issu à
l’origine d’un milieu campagnard et agricole modeste, j’ai toujours gardé un
pied dans la terre, l’agriculture m’a toujours intéressé parallèlement à la
biodiversité. Je la pratique à une bien modeste échelle dans mon potager mais
c’est surtout dans la région de Bruxelles que j’exerce mes activités à la tête
du département gestion de la nature.
Venant d’un région fortement urbanisée, j’aimerais que ces paysages restent ce qu’ils sont, que l’agriculture soit suffisamment productive tout en étant garante de qualité et de goût ; sans elle, nous mourrions de faim !... Que l’on puisse continuer à contempler et admirer ce terroir, à manger du gibier, à boire un verre à la santé de la vie, à vivre et prendre du plaisir... Garder une qualité de vie…
Mais est-ce possible sans sacrifier toute
rentabilité économique? Sûrement oui, et pas question de revenir au moyen-âge
avec des rendements dérisoires et une myriade de parcelles minuscules
difficilement exploitables. Quelques pistes me viennent à l’esprit. Les suivre
pourrait être encouragé par des initiatives locales voire facilitées dans les
choix des budgets communaux:
· Valoriser ou
revaloriser les filières bois- énergie en mettant en place un système agricole
multifonctionnel alliant productions
traditionnelles et productions de bois ;
· Conserver les
petites parcelles qui existent encore en y pratiquant un élevage extensif de
qualité, ou comme prés à foin ou parcelles de maraîchage ;
· Eviter d’arracher
les haies mais les entretenir, ainsi que les talus, mécaniquement en dehors des
saisons de nidification, en limitant ou en stoppant l’usage de produits de
toutes façons nocifs pour tous (fauchage chimique qui affaiblit petit à
petit la haie et provoque l’apparition en masse de mauvaises herbes sur le sol
nu)
· Planter ou
replanter, là où c’est possible, des haies et bandes boisées d’espèces locales
rustiques, ou même des bouquets d’arbres ou arbres isolés, prioritairement le
long des chemins et routes communales, au sein du parcellaire agricole aussi ;
· Conserver les
vallons humides et les ruisselets dont la superficie reste minime par rapport
au reste des surfaces.
Le monde agricole est sensibilisé sur ces pratiques mais il faut aussi informer l’ensemble des habitants du monde rural dans les écoles d’agriculture, les écoles en général sur ces bonnes pratiques. Bien pensées et bien mise en pratiques, elles permettent outre une production de qualité l’entretien de nos paysages, la préservation de la biodiversité, du gibier. Elle perpétue des traditions culturelles au milieu d’un environnement humain et durable qui peut être perpétué pour et par nos descendants.
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