18 juillet 2009

A propos de la création de la ville de Duras

Une comunication de M. Jacques CLEMENS, professeur d’histoire de l’Université BordeauxIII, « La fondation d’un castelnau en Agenais au XII siècle : Duras », faite au colloque de l’abbaye de Flaran dans le Gers : « Châteaux et peuplements en Europe occidentale du Xème au XVIII ème siècles », en 1979, nous renseigne sur les conditions de la création de la ville de Duras, jusques là moins connues que celles du château. Il utilise deux documents : une notice du cartulaire du prieuré de La Réole (Archive Historique de la Gironde, TomeV) et le plan cadastral de Duras de 1826.« Le cartulaire livre une notice en latin, malheureusement incomplète, qui énumère les plaintes adressées au roi de France au sujet des usurpations des seigneurs voisins » .Pour M. Clemens, « cette notice semble authentique et la démarche du prieuré de la Réole n’a rien d’extraordinaire au milieu du XIIème siècle. L’éditeur du document propose la date de 1137, non seulement à partir du classement chronologique de Dom Maupel (Histoire du prieuré conventuel de La Réole depuis ses origines jusqu’à la Révolution ; Archive Historique de Gironde), mais aussi en raison des allusions à la venue du roi de France en Aquitaine, lors du mariage de Louis VII avec Aliénor ,héritière du duché d’Aquitaine, à Bordeaux en 1137. Mais la mention dans la notice de nouvelles usurpations depuis la venue du roi, permet de dater la fondation du château et de la ville de Duras entre 1137 et 1152, date du divorce de Louis VII »… « Si le site d’éperon et de confluence (Dropt et Dourdèze) du château, au centre d’une vicomté qui s’étendait sur deux diocèses (Bazas et Agen), explique le choix de l’emplacement du château et l’essor postérieur du castelnau, la ville de Duras est née au milieu du XIIème siècle, uniquement des convoitises et de l’astuce ses seigneurs de Bezaume (Benauge et Gabardan, Guillaume Amanieu semble-t-il). Le vicomte plutôt que de détruire le prieuré de Saint Eyrard, fit déplacer de gré ou de force les hommes et le marché, enlevant aussi 2 bourgeois, qui durent se racheter »…. « il se constituait ainsi une seigneurie banale, c'est-à-dire des droits sur les hommes (les leudes) et leurs transactions (péages et droits de marché) ». La convoitise de la famille de Bezaume serait ancienne et remonterait à « une donation faite en 1087, par Bertrand de Taillecavat-sur la rive gauche du Dropt- au prieur de La Réole, de droits sur l’église de Saint Eyrard et d’un casal qu’il avait dans la villa avec une terre qu’il tenait de l’abbaye, et ceci au moment de partir à la croisade. ». Cela expliquerait aussi l’origine du nom de Duras, « témoignage de la volonté d’un seigneur de créer une ville près de son château à l’image de Durazzo, ville d’Albanie célèbre lors de la première croisade » (le nom de Duras n’apparaissant pas auparavant). Le château lui-même aurait pu être implanté par la famille vicomtale à la suite de la « grande guerre née entre le vicomte de Bezaume et Géraud de Marirotondo ?en 1097 ». La présence d’une tour est évoquée cependant plus anciennement, lors des invasions normandes qui détruisirent le prieuré de la Réole et remontèrent le Dropt, et le texte dit aussi que « le château pourrait être l’héritier d’une garnison wisigothique du même type que celle de Sainte Bazeille ».
Ainsi Duras n’est pas une bastide mais un castelnau, autre type de ville neuve du Moyen Age. Le castelnau (« château neuf » en français du nord !), est un habitat groupé, près d’un château, créé par un seigneur pour se constituer une seigneurie c'est-à-dire un pouvoir sur une terre et des gens. Le château est préexistant à la ville et, dans le cas de Duras, il y a eu tranfert partiel de population et perchement de l’habitat, depuis une villa plus ancienne située à Saint Eyrard (ou Ayrard) au bas du côteau, à 800 mètres du nouvel établissement. La bastide est une ville neuve, le plus souvent créée par un roi ou un seigneur de haut rang, dans une frontière de peuplement, avec des fortifications mais pas forcément de château préexistant. Le plan, dans les deux cas est le même, rigoureusement quadrillé, avec une place « à cornières » pour le marché et une église qui, dans le cas du castelnau de Duras, est restée longtemps dans le château. L’ouverture sur l’extérieur semble ausssi plus limitée, dans le castelnau, à cause du château et de hautes muraille ; à Duras, seule la Porte de Haut (aujourd’hui porte de l’horloge), permettait l’accès à la ville depuis l’extérieur comme on le voit sur le plan cadastral de 1826, alors que Duras bénéficiait pourtant d’une excellente situation de carrefour ( ce n’est qu’au XVIIIème siècle que sera percée une nouvelle porte sur le versant nord moins abrupt, et sera pavé le chemin de la Fougassiére),
La villa de Saint-Eyrard est présentée comme un village d’environ 300 maisons, donné par le Comte de Poitou à Dieu et à Saint Pierre de La Réole. Mais ce n’est pas une sauveté, c'est-à-dire, là encore, un village neuf créé à l’abri d’une abbaye ou d’une église ; il est beaucoup plus ancien, vraisemblablement d’origine mérovingienne, comme son nom semble l’indiquer ainsi que le sarcophage et la clé en bronze trouvés en ce lieu et conservés au musée du château. Saint-Eyrard « est né sans doute du démembrement de la paroisse voisine de Sainte-Foy-la-Petite qui se dresse encore à 3 km. environ à l’est de la ville de Duras, dédiée donc à la martyre d’Agen et où de nombreux vestiges gallo-romains ont été repérés. « Il s’agit dans les deux cas d’exemples typiques de sites gallo-romains de la rive droite du Dropt, sur un versant du plateau, à l’abri des inondations, près des sources et, avec une excellente exposition ». La carte ci-dessous, montre la migration de la paroisse et de son église avec démembrement de Sainte-Foy-la-Petite vers Saint-Eyrard, puis de celle-ci vers le castelnau de Duras; le plan cadastral de 1826, décrit bien la migration intra-muros de la chapelle Sainte-Marie-Madeleine, du château (où elle se situait au devant, du côté du midi, après une première migration semble-t-il), vers la ville en 1655, puis, après sa destruction pendant la révolution, vers le lieu actuel sur l’emplacement du temple protestant. Il y aurait eu, avant le XVIIème siècle, une église Notre Dame dans la ville, sur la place près de la Porte-de-Bas, qui aurait été détruite par les protestants, ce que commémorerait la croix actuelle. Un prieuré se maintint cependant dans la ville, qui « est attesté en 1272 et percevait, toujours au nom du prieur de La Réole, des cens et dîmes, dans le castelnau et dans la paroisse de Saint Eyrard, droits qui passèrent au seigneur de Duras à la fin du XIVème siècle ». Il se situait au sud-est de la ville, à l’emplacement de l’ancienne gendarmerie.
La carte est intéressante car elle montre aussi la frontière entre les deux diocèses qui coïncida longtemps avec la frontière entre les deux puissances politiques régionales : l’Aquitaine à laquelle appartenait Duras et l’évêché d’Agen, et la Gascogne où se trouve l’évêché de Bazas dont relève La Réole, la deuxième ayant été intégrée dans la première en 1058, donc avant la création du castelnau de Duras (1137), à la suite d’une succession dynastique féminine compliquée. Bien que généralement la limite entre les deux duchés, se situait à la Garonne, il y avait une extension gasconne vers le nord à la hauteur de La Réole, qui apparaît comme la tête de pont des comtes-marquis de Gascogne, sur la rive nord de la Garonne, dernier passage à gué avant l’estuaire, avec un marché et une route pour le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. C’est d’ailleurs le comte-duc Guillaume-Sanche (ou Sanz) qui en 977, réorganisa l’ancienne abbaye de Squirs, détruite par les Normands et devenue La Réole (la règle) après l’adoption de la règle de Saint Benoît avec son rattachement à l’abbaye neustrienne de Fleury-sur-Loire ; il en fit une forteresse avec des moines-soldats, pour lutter contre les Normands, consolida le bourg et le marché. Son frère, Gombaud, évêque de Bordeaux, aurait établi ou rétabli les droits du prieuré sur celui de Saint Eyrard, villa très ancienne. M. Clemens souligne en conclusion, que «la fondation de Duras marque, comme celle de Castillonès et de Casteljaloux, la fusion d’une frontière religieuse et politique avec une « frontière » de peuplement, instaurant, au moins pour l’habitat et les frontières de l’Agenais, une véritable rupture avec l’Antiquité et le haut Moyen Age. La naissance et la survie de la ville de Duras restent attachées aux initiatives de la famille de Bouville » (qui ont hérité des Bezaume au XIII ème siècle) qui ont réussi à maintenir pour la ville un arrière-pays conséquent, en dépit des convoitises du bayle et des « gens» de la nouvelle bastide royale de Sainte-Foy-la-Grande, devant être associés aux Durfort dans l’histoire de Duras ».


Jeanine Brisseau Loaiza
Pau.

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