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Au début des années 2000, des milliers de Britanniques se sont installés dans les campagnes françaises, notamment dans le Sud et en Poitou-Charentes. Ils rêvaient de « la belle vie » à la française. Depuis, les réalités de l'expatriation et la crise les ont frappées de plein fouet. Délaissées par leurs maris, esseulées, certaines sont aujourd'hui en grande difficulté.
A 53 ans, Maria-Louise Sawyer survit. En 2002, elle quitte la Grande-Bretagne pour une vie paisible en France avec son mari Carol Peter. Depuis, cette Britannique originaire du Devon a déchanté.
Six ans après son installation au lieu-dit La Leigne, dans les environs d'Angoulême (Charente), elle trouve chez elle un mot : « Je suis parti. » Son domicile saccagé. De la nourriture sur les murs, ses vêtements lacérés, son compte en banque vidé. Aujourd'hui, Maria-Louise ne dépense pas plus de 20 euros par semaine pour ses repas.
Son cas n'est pas isolé. Pour venir en aide à ses compatriotes, abandonnées dans l'Hexagone, elle a créé un blog,
Waif, Women Alone in France (« Femmes seules en France », en anglais, l'acronyme signifie aussi « enfant abandonné »). Plus de 1 000 personnes l'ont déjà contactée. Au programme : écoute, soutien, conseils juridiques et aide aux formalités administratives. Son histoire a été narrée dans presse britannique, du
Daily Mail au Times.
Maria-Louise a « toujours rêvé d'habiter en France ! »
Avec le recul, Maria-Louise pense que le naufrage de son mariage est dû à un problème d'intégration :
« J'avais 45 ans, je travaillais en tant qu'agent immobilier indépendant. Je vendais des maisons à des Anglais bien sûr, mais aussi à d'autres étrangers et quelques Français. »
Maria-Louise apprend la langue, sympathise avec des Français. Quand son mari, un retraité de 67 ans, ne cherche pas à s'intégrer. « Je devais lui traduire la conversation quand nous recevions des amis. Il se sentait exclu. »
En juin 2005, Carol Peter est victime d'un accident vasculaire. Peu à peu, il devient alcoolique. Le 8 mars 2008, sans crier gare, il rentre en Angleterre.
Après vingt-six ans de mariage, Maria-Louise Sawyer doit refaire sa vie. Sans enfants, sans famille -fille unique, parents décédés- sans travail. A 50 ans passés, ses diplômes en biologie et littérature ne lui sont d'aucun secours :
« J'ai toujours travaillé. Mais, vu le marché, je ne pouvais plus continuer dans l'immobilier. On me propose quelques missions d'intérim comme des inventaires, de nuit. Je touche en moyenne 150 euros de RSA, selon ce que j'ai gagné dans le mois. »
Maria-Louise vit avec moins de 400 euros par mois. L'emprunt de sa maison lui en coûte 300. Elle ne mange parfois qu'un yaourt par jour. Pourtant, elle ne cherche pas à rentrer au pays. « J'ai toujours rêvé d'habiter en France ! »
« Les émissions de télé vantaient la qualité de vie en France »
Les femmes qui demandent de l'aide à Maria-Louise ont aussi bien 30 ans que 70 ans. Beaucoup ne parlent pas ou très peu français. Leur point commun ? Elles imaginaient le pays des mangeurs de grenouille comme un havre de paix :
« Il y a dix ans, de nombreuses émissions de télé vantaient le climat, la qualité de vie et même le faible taux de criminalité en France ! »
D'où une arrivée massive de British sur la Côte d'Azur, en Dordogne, en Charente ou en Bretagne. Le hic : certains se sont révélés plus cigales que fourmis.
Heather Davey, 47 ans, vit à Saint-Germain-de-Longue-Chaume, dans les Deux-Sèvres. Divorcée, mère de deux ados, elle est arrivée dans la région en 2007 ; avec David, son nouveau compagnon. Retraités, ses parents l'ont suivi :
« David pilotait de petits avions. Il devait rénover notre maison, achetée par mon père. Et créer des gîtes sur nos 83 hectares de terrain. Il n'a jamais rien fait, à part dilapider notre argent. »
Son compagnon l'a quitté au bout de deux ans, en la laissant sans ressources, avec 1 700 euros d'électricité à payer.
Heather touche le RSA pour garder la tête hors de l'eau
En Angleterre, Heather gérait le service clients d'un magazine. Titulaire d'un « printing degree » (diplôme non reconnu en France), elle garde des animaux domestiques à domicile (en anglais, « house sitting ») avec le statut d'autoentrepreneur.
En septembre, elle n'a gagné que 25 euros. RSA, allocations familiales et aide de ses proches lui permettent de garder la tête hors de l'eau. « C'est si difficile quand on a rien ! »
De nombreux couples ont suivi la même démarche. Acheter une maison dans un village agréable (le taux de l'euro leur était alors favorable), la rénover et profiter de leurs économies ou leur retraite.
Crise, configuration du marché du travail français, barrière de la langue, isolement géographique, taux monétaires défavorables… Face aux difficultés, beaucoup d'hommes sont rentrés. Seuls.
« Les hommes ont plus de mal avec la langue, ils sortent peu »
Avocat anglophone et conseiller du Waif, Jean-Michel Camus ne passe pas une journée sans apporter une aide juridique à un(e) Anglais(e) :
« J'ai des clients britanniques depuis vingt ans. Dans les années 90, on voyait des retraités s'installer dans le Sud-Ouest. Depuis 2000, des familles emménagent dans l'Ouest. Le mari fait des allers-retours pour son travail. »
S'il conseille plus de femmes que d'hommes, il ne conclut pas à une réalité sociologique. Quant à la supposée inconscience des nouveaux arrivants -qui vivent de leur bas de laine- il la nuance.
De son côté, Angela Simmons, psychothérapeute et chroniqueuse au
FrenchPaper, avance une hypothèse prudente. S'il semble y avoir plus d'épouses délaissées que de maris, cela pourrait s'expliquer par le fait que « généralement, les hommes ont plus de difficultés avec la langue. Ils sortent peu, se renferment… et ont plus facilement le mal du pays. »
Photos : Maria-Louise Sawyer dans son jardin, Heather Davey (DR)
►Mise à jour 19 décembre 2010 à 16h44. Précision sur la presse britannique, qui a déjà évoqué la situation de Mme Sawyer.