Le Lot & Garonne : terre d'exil, terre d'asileSource : Journal Sud-Ouest du dimanche 18 juin 2006"HISTOIRE. --Marie-Juliette Vielcazat vient de sortir « Lot-et-Garonne terre d'exil, terre d'asile ». Avec cette illustration locale de l'histoire des réfugiés juifs, l'auteur laisse la part belle aux témoignages Mettre des noms sur les numéros
:Thomas Mankowski
Marie-Juliette Vielcazat. Elle propose un ouvrage de 598 pages, riche en documents PHOTO SIMON VAISSIERE Ce livre n'aurait dû compiler qu'une année de recherches. Une poignée de feuillets signés Marie-Juliette Vielcazat qui, en 1991, aurait très certainement mérité une place de choix dans la revue éditée par les Amis du Pastourais. Mais l'auteur a mis le doigt dans l'engrenage et s'est laissé happer la main, la plume avec. Quinze ans plus tard, la petite dame de Beaugas sort « Lot-et-Garonne terre d'exil, terre d'asile », un pavé de 598 pages, riche en documents (de la photo de famille au rapport de gendarmerie en passant par les vrais et faux papiers) revenant sur une page de l'histoire mondiale déclinée dans le spectre local. Soit le parcours de 9 000 Juifs venus se réfugier au cours de la Seconde Guerre mondiale dans le Lot-et-Garonne. Département situé en zone libre à quelques kilomètres de la ligne de démarcation. Département où 600 d'entre eux ont été arrêtés, puis déportés. Département où même un haut fonctionnaire affirmera, en 1991, ne pas se souvenir de leur présence, malgré l'existence de centres de résidence surveillée à Castillonnès et Tournon ainsi que d'un centre de rassemblement à Casseneuil, porte d'entrée pour Gurs, Drancy, puis Auschwitz. Professeur à la retraite (non d'histoire mais d'anglais), Marie-Juliette Vielcazat donne une leçon avec, comme il se doit, partie, sous-partie, sous-sous-partie. L'arrivée en masse des Juifs alsaciens l'amène à remonter au traité de Westphalie et aux droits civiques accordés en 1791 par l'Assemblée constituante. Plus de 300 témoignages. Mais « Lot-et-Garonne terre d'exil, terre d'asile » n'est pas un banal manuel et prend toute sa dimension avec ses 300 témoignages : « Je me suis beaucoup attachée à donner la parole à ceux qui ont vécu ces instants car dans les livres d'histoire, on sait que tant se sont enfuis, tant ont été déportés, tant sont morts. Je tenais à mettre des noms sur des numéros et que chacun ne soit plus un chiffre perdu parmi 78 000. » Et pour dire l'exil des nombreux Juifs belges, elle cède la parole à Dora Weiz : « Nous avons été expulsés de Belgique en mai 1940. On nous a mis dans des trains à bestiaux et nous avons atterri à Marmande. Le voyage a été terrible. Nous n'avons rien choisi. On nous a déversés comme on nous a entassés dans ces wagons à bestiaux. » Des rafles de 1942 et 1943 jusqu'aux réflexions blessantes, l'auteur amasse et distille les citations. A Penne-d'Agenais, Civi Kuper s'entend dire : « Vous n'avez pas de cornes, vous ne pouvez pas être juif. » A 12 ans, Jeanine Sterff, doit essuyer les « sale Juive, on aura ta peau » et Alfred Lakritz, enfant, se voit accusé d'avoir tué le Christ. « Sympathie et compassion ». Ces réflexions n'illustrent pas le sentiment général : « Seul un nombre très restreint de Lot-et-Garonnais peuvent être qualifiés d'antisémites », souligne l'auteur. « L'ensemble de la population manifeste sympathie et compassion avec les persécutés ou au moins reste neutre. » Arrivé à Villeneuve-sur-Lot avec quatorze membres de sa famille en février 1942, Claude Kremer fut agréablement surpris « par l'accueil chaleureux de tous ces gens qui contrastent si fort avec la méfiance et l'angoisse permanente que nous avions eu à souffrir à Châlons-sur-Marne ». Les arrivées se succèdent. Chiffonnier, homme d'affaires ou artiste. On retrouve le chanteur Ray Ventura à Tournon, le directeur du Conservatoire national de musique de Paris, Lazan Lévy, et le peintre Clément Serveau à Villeneuve, ou encore l'architecte Mallet-Stevens à Penne-d'Agenais.Discrète Miquette. Les précisions anecdotiques tranchent avec les récits des Justes, tels l'inspecteur Dreyfus (qui n'est pas de confession israélite), le fonctionnaire de la préfecture M. Jacob, le maire de Colmar (1) ils donneront souvent l'alerte lors des rafles ou encore Miquette. Celle-ci refusera toutefois de témoigner par une lettre polie : « Je suis triste, écrit-elle, en pensant à votre déception de ne pas être celle que vous croyez. Pas d'histoire à mon sujet. » Pourtant, à en croire le rabbin Fuks, « aucun risque, aucun danger ne l'arrêtèrent. On pouvait cacher des gens chez elle, lui faire transporter des paquets de fausses cartes d'identité, lui demander d'accompagner d'un endroit à l'autre des gens qui étaient en danger. » La guerre touchant à sa fin, beaucoup repartiront. Peu resteront, comme le peintre tchèque Gustave Bohm. Le Parisien comptait gagner les Etats-Unis depuis Bordeaux en prenant au préalable la ligne Paris-Toulouse puis Toulouse-Bordeaux. Lors de sa correspondance à Agen, il se laissa séduire par la luminosité du quartier de la gare et y resta jusqu'à la fin de ses jours. « Lot-et-Garonne terre d'exil, terre d'asile », de Marie-Juliette Vielcazat, aux Editions d'Albret, 598 pages, 28 euros.(1) Le Lot-et-Garonne était la zone d'accueil officielle du Haut-Rhin et a reçu 5 000 évacués alsaciens. "
A Soumensac aussi. Dans le château qui était à l'époque propriété de Pierre Cathala, ministre des finances dans le gouvernement de Vichy, a été créé une colonie de vacances (CCE) qui a hébergé des enfants juifs. Quelqu'un aurait-il des souvenirs de cette époque ?