Samedi, on commémorera à Samazan le cinquantième anniversaire de la mort de Renaud Jean (1). À partir de 10 heures, dans la salle du troisième âge, sera présentée une exposition comprenant photos, affiches, courriers et textes de celui qui restera, devant l'Histoire, « le premier député communiste élu en France » (en 1920). À 11 heures, l'on se rendra en cortège jusqu'au cimetière, où il repose, pour un hommage devant sa tombe, avec prises de parole (libres) et dépôt de gerbes. Puis l'on retournera à la salle, où chacun pourra signer un livre d'or. La matinée se terminera par un apéritif offert par la mairie.
Cette commémoration a été imaginée par une association, qui s'est constituée voici deux ans, Les Amis de Renaud Jean. À sa tête, André Larralde, un ancien cheminot bordelais venu s'installer à Samazan à la retraite. De Renaud Jean, il en avait certes entendu parler. Mais il a découvert en arrivant ici qu'il était un enfant du village. Il en a discuté autour de lui. A constaté que beaucoup de Samazanais l'avaient connu (et pour cause : Renaud Jean a été maire de Samazan de 1935 jusqu'à sa mort). Et lui vouaient, aujourd'hui encore, et sans considérations de bord politique, un immense respect.
Un hommage en rangs dispersés
Indépendamment de la commémoration de samedi, la municipalité de Samazan organise une autre cérémonie ce soir, à 18 h 15, au cimetière.
Ce qui suscite l'interrogation du président de l'association. Michel le Boustouler, le maire, indique laconiquement qu'il ne veut « pas entrer dans une polémique ». Une « incompatibilité d'humeur » entre les deux hommes semble expliquer la tenue de ces deux hommages distincts… « Renaud Jean doit se retourner dans sa tombe, lui qui ne rêvait que de rassembler les hommes », commente pour sa part André Larralde.
Une carrière nationale
C'est alors en véritable historien qu'André Larralde a commencé à s'intéresser à Renaud Jean. S'adressant aux services des Archives départementales, il a eu la surprise d'y découvrir « un fonds incroyable de courriers, discours, articles… » qu'il a patiemment épluchés. Et qui prennent toute leur dimension quand on les met en perspective avec les grands événements historiques.
Renaud Jean avait une finesse d'analyse politique qui faisait de lui l'interlocuteur des grands de son temps. Qu'il dérangeait souvent par sa liberté de pensée et de parole. Y compris dans son propre parti, où on le qualifiait « d'ingérable », dit André Larralde. Mais où on ne pouvait guère se passer de ses compétences sur la question paysanne. Son affrontement avec Trotski, dans les années 1920, précisément au sujet de la place du monde paysan, reste dans les annales. Tout comme son refus, en 1939, de reconnaître le pacte germano-soviétique : « Renaud Jean n'entrait pas dans le moule et faisait peu de concessions ». Il le paya. En 1936, à 49 ans, il était au sommet de son accomplissement, président de la Commission agricole du gouvernement du Front populaire. Quelques années plus tard, son parti lui interdisait d'exercer tout mandat national… sa carrière, tout du moins nationale, était finie.
Autodidacte
Ce parcours étonnant est bien celui d'un fils de petit paysan de Samazan. « Un fils unique, choyé par sa mère, dit André Larralde, et décrit dans sa jeunesse comme taciturne et solitaire, se mêlant peu aux autres. Il était d'une remarquable intelligence et lisait beaucoup, des livres que lui prêtait un ami de Bouglon, un certain Beaujardin… » Et puis, surtout, il fut traumatisé par la guerre de 14-18, au cours de laquelle il fut mutilé.
« Sur cette photo (voir ci-dessus, en haut à droite, NDLR) où il est convalescent et allongé, voyez son regard, comme halluciné. Il est évident que ce traumatisme a été déterminant. Dans toute sa carrière, il n'a jamais parlé que de deux choses : défendre les petits paysans, et combattre la guerre ».
(1) Il est décédé le 31 mai 1961, à 74 ans.