08 mai 2009

8 mai : la Résistance dans la vallée du Dropt

Aujourdhui 8 mai, jour de commémoration de la victoire des allié sur l'Allemagne nazi. Des cérémonies importantes ont lieu un peu partout en Europe avec chefs d'Etats et déploiements militaires. N'oublions pas que cette victoire est ausi due à de simples citoyens qui très tôt, de leur propres initiative, au début souvent seuls, se sont engagés pour l'un combattre le fascisme, l'autre libérer sa patrie, un troisième chasser l'envahisseur... -la rose et le reseda- tous abattre la bête de la barbarie et du racisme. Ce combat n'est pas du passé. Il est de tous les jours. Nous publions ci-dessous en ce jour anniversaire la suite de l'article de Jeanine Brisseau sur la Résistance dans la vallée du Dropt.

Il y a eu une forte présence de la Résistance, dès 1941, dans la vallée du Dropt et les coteaux environnants, de la Réole à Monpazier et Cadouin. On sait que l’esprit de résistance est né du sentiment de déception, d’accablement devant la défaite et la capitulation de 1940, puis face à la politique de collaboration avec l’occupant mise en place par le gouvernement de Pétain . Il y a cependant des causes locales, géographiques, historiques, sociologiques et politiques qui expliquent l’intensité du mouvement ici et la formation de plusieurs foyers qui ont eu finalement peu de contacts entre eux bien qu’appartenant tous, de fait, à 2 réseaux importants. Celui du SOE (voir texte précédent sur les fusillés du 8 avril 1944 et texte de Mariens Borcy qui en est un des rares survivants locaux) avait des contacts avec les mouvements de résistance Victoire à Agen et La Réole (formé de sous-officiers démobilisés et de réfugiés de l’Est), la Compagnie Notre Dame du colonel Rémy (liée au BCRA, organe de renseignement gaulliste) à Sainte Foy la Grande, et surtout Combat créé en novembre 1941 par Henri Frenay. Le SOE a organisé la grande majorité des parachutages d’armes et d’explosifs, plus rarement d’hommes, qui ont eu lieu sur les coteaux boisés et a aussi consolidé les filières de renseignements et d’évasion vers l’Espagne et l’Afrique du nord, à travers la forêt landaise. Je ne sais pas si c’est son responsable régional, le baron Philippe de Gunzbourg (1904-1986), propriétaire terrien à Damazan, fils de Juifs émigrés de Hesse, qui a choisi cette vallée, mais on ne peut que louer l’intelligence, l’esprit d’organisation et d’ouverture de l’homme qui a su convaincre les individus et les petits groupes de résistants apparaissant surtout à partir de 1941, à accepter de travailler avec Londres, puis qui a obtenu et organisé localement les parachutages, en s’appuyant d’autre part sur les groupes de résistants des villes des grandes vallées : La Réole et Marmande au sud, Bergerac et Sainte Foy, sur la Dordogne, au nord. Le deuxième mouvement est celui des communistes organisé dans les FTPF (Francs-Tireurs et Partisans). Il apparaît aussi localement en 1942, à l’initiative ici de René Duprat de Cazaugitat en Gironde et conduira à la formation de maquis de clandestins (jeunes échappés des chantiers de jeunesse, réfractaires au STO, résistants poursuivis et menacés) puis de corps-francs participant aux combats, en particulier après le débarquement et pour la Libération en 1944 (comme le Bataillon de Duras, voir article de M. Geneste). Ici, malgré les différences idéologiques (en particulier quant au gouvernement à mettre en place après la Libération ), tous se sont retrouvés lors des parachutages et aussi quelques sabotages, et plus tard dans les corps-francs.

Plusieurs facteurs semblent avoir joué pour expliquer la force de la Résistance dans cette vallée :
-la proximité de la ligne de démarcation, ligne créée dès 1940, séparant la zone libre de la France occupée ; elle passait dans notre région par Castillon, Langon, Captieux et Roquefort des Landes pour rejoindre Saint Jean Pied de Port. Dordogne et Lot et Garonne -auquel fut rattaché l’arrondissement de La Réole, le seul de Gironde resté en zone libre- devenaient des lieux de passage de premier ordre pour ceux qui fuyaient la France occupée vers l’Espagne et l’Afrique du nord , celle-ci libérée en novembre 1942, ce qui entraîna la suppression de la ligne de démarcation (officiellement en février 1943).
-un axe de communication, secondaire certes mais diversifié, et donc plus discret, par rapport aux voies principales des grandes vallées de la Dordogne (Bordeaux-Périgueux-Limoges) ou de la Garonne (Bordeaux-Toulouse-Méditerranée), très surveillées par les Allemands . Une voie ferrée, de Bordeaux-Benauge, Créon, à Cadouin, avec ses multiples gares, doublait la route Nationale 668. Il y avait cependant peu de voitures mais le vélo était essentiel pour le résistant ou l’agent de liaison. Les ponts étaient nombreux et le Dropt aisément franchissable à la nage ou en barque. La nationale 133 vers l’Espagne, par Bergerac et Marmande, a joué aussi un rôle fondamental de passage de résistants d’agents, d’évadés ou de réfugiés.
-la proximité de 3 départements, distants de quelques kilomètres, a pu faciliter les replis, les cachettes, et permis de jouer sur les différences de zèle des administrations, en particulier l’Etat civil, la police et la gendarmerie, face à la politique de Vichy et de l’occupant, alors que la présence allemande est restée très forte en Gironde jusqu’en août 1944, en particulier à Bordeaux, port et base de sous-marins très surveillés. A Duras et Monségur par exemple, certains gendarmes étaient résistants et l’adjudant local ouvrait la barrière de chemin de fer, la nuit des parachutages, devant le camion des résistants, malgré les instructions de Vichy de les fermer la nuit.
-l’historien anglais du SOE, Michaël R.D. Foot dont le livre vient enfin de paraître en français (Edition Taillandier 2008) a souligné pour le sud ouest de la France « l’exceptionnel degré de support local à la résistance » de 1942 à 1944. Il cite quelques faits historiques comme les liens commerciaux qui ont subsisté à la fin de la présence anglaise en Guyenne, et surtout, une longue tradition régionale de luttes et dissidences contre le pouvoir central et l’autorité en général, avec les querelles tribales des turbulents Gascons, la résistance des Cathares et plus tard des Camisards, les luttes contre les rois d’Angleterre ou de France, dans cette région frontière au Moyen Age, et les jacqueries permanentes de paysans et autres croquants.
-selon M. Bergeret (« Messages personnels » édition Bière 1945)), la forte présence de protestants et aussi de francs-maçons dans notre microrégion a également joué à cause d’une tradition de méfiance et résistance au pouvoir central qui les a souvent discriminés, voire persécutés (pour les francs-maçons dès 1940), de leur goût du secret et de la discrétion, de leur esprit de solidarité également. Je pense que de même, dans la culture occitane, encore forte dans cette région où avant guerre tout le monde parlait le gascon (le patois), un goût d’indépendance vis-à-vis du centralisme parisien et aussi les solidarités entre agriculteurs, en particulier lors des travaux agricoles encore peu mécanisés ou des activités de chasse et pêche, ont joué pour souder les petits groupes de résistants.
-une économie de petites et moyennes exploitations mais pas autosuffisante, ouverte au contraire, avec un commerce très actif pour le vin, les prunes, le tabac, le blé, le bétail, les volailles… animant les gares et de nombreux marchés et foires où les contacts se nouent et les nouvelles circulent. Un habitat peu dense, très dispersé avec des forêts très nombreuses, a pu être favorable à la réception des parachutages et à la formation des maquis..
-sociologiquement, au recensement de 1936, 67 à 74 % de la population du Lot et Garonne, plus de 60% en Dordogne (33,6% au niveau national), était agricole, avec une grande force du métayage et du fermage, formes très injustes d’exploitation, qui seront condamnées dans le programme du Conseil National de la Résistance de 1943 et abolies ou réglementées à la Libération grâce à l’action des députés communistes de notre arrondissement, Renaud Jean puis Hubert Ruffe. M. Bergeret dans « Messages personnels » a souligné le rôle décisif des paysans dans la Résistance en Dordogne, louant leur combativité, leur discrétion et leurs aptitudes « à bricoler et utiliser le système D, si utile en clandestinité ».
-politiquement, on note la prédominance du vote pour le Front Populaire avec selon les communes, de 60 à 67% des voix en Dordogne et 52,5 à 60% en Lot et Garonne. Ce département élit en 1936, au premier tour de scrutin, 2 députés communistes (fait exceptionnel pour un département agricole !), Robert Philippot à Agen et Renaud Jean dans notre arrondissement de Marmande, député du PC de 1925 à 1939 où il fut emprisonné. Plusieurs maires étaient du Front Populaire, dont celui de Duras, mon grand-oncle maternel, Jean Bousquet. Quel contraste avec l’époque actuelle où le front national a obtenu un score important dans nos campagnes, à la présidentielle de 2002, triste conséquence de 50 ans de modernisation agricole qui a augmenté la taille des exploitations et accentué l’exode rural et l’individualisme.

Jeanine Brisseau

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